Le grès ou la beauté de l’imparfait

L’influence chinoise a toujours été importante pour le Japon : en effet, l’écriture, les religions, la peinture, la littérature, la calligraphie, etc., proviennent de l’Empire du Milieu. C’est aussi le cas de la céramique, dont les différentes techniques et formes émergent au Japon au XIIIe siècle. En ce qui concerne le grès japonais, son âge d’or commence au début du XVIe siècle et va durer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les techniques varient selon les régions de l’Archipel, cependant, il s’agit toujours d’argile façonnée à la main ou au tour et cuite ensuite au bois de pin dans des fours horizontaux (en tunnel), qui rougeoient à environs 1300 degrés Celsius. La matière poreuse qu’est le grès est rendue imperméable – souvent à travers une deuxième cuisson – grâce à une couverte qui laisse cependant apparaître le pied brut de la pièce.

Le grès japonais a une esthétique très particulière, qui a été définie par les maîtres de la cérémonie du thé (cérémonie du thé : « Chanoyu »), tradition assujettie depuis le XVe siècle aux rites les plus rigoureux. En effet, les pièces choisies pour ce rituel dépendent des saisons, de l’heure, du temps, de notre hôte, etc. Cette disposition spirituelle et ce concept esthétique peuvent être simplifiés en deux termes « wabi » et « shibui », traduisibles approximativement par « austérité » et « sobriété ». Les objets en grès sont donc simples et ils traduisent le désir d’abandonner les biens de ce monde pour renouer avec la nature: c’est une sorte d’ascèse où on crée un rapport sensible et spirituel avec les objets (« wabicha » : le « thé solitaire »). En effet, le grès est choisi tout particulièrement pour son dépouillement et son aspect naturel : les formes sont pures et simples; les matières et textures rappellent des éléments de la nature (mousse, pierre); l’imperfection, comme une coulure qui évoquerait un cours d’eau, est appréciée voire même admirée, au point même où les potiers déformeront volontairement leurs pièces ou apprendront à maîtriser et orienter leur cuisson dans le but d’une irrégularité, d’un accident. La cérémonie du thé, qui fait appel aux cinq sens, prête une attention particulière à celui du toucher, ainsi, sous les doigts, la texture et les reliefs irréguliers s’élèvent à l’esprit.